Chansons nouvelles du Carrateyron

 

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Marie-Virginie & Alain BRAVAY

Les Chansons nouvelles du Carrateyron à 4 voix forment un ensemble de cinq chansons satiriques aixoises de la Renaissance. L'original du XVIe siècle serait le premier livre imprimé en provençal qui nous soit parvenu. Nous proposons une réalisation de ces chansons à quatre voix mixtes, dans le style contrapuntique de l’époque, ainsi qu’une transcription des textes en graphie mistralienne avec leur traduction en français. Un arrangement pour galoubet-tambourin et une réduction pour instrument polyphonique complètent l’ensemble.
Bien que ces chansons s’inscrivent dans le style satirique des "farçaires" (farceurs) du XVIe siècle, elles sont davantage, à l’évidence, le reflet de la vie de leur auteur présumé que de simples chansons carnavalesques anonymes.

Paru en mai 2021.
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Marie-Virginie DELORME, Pourquoi et comment écrire à 4 voix dans le style de la Renaissance ?

Ce n’est peut-être pas un hasard si l’illustration présente sur la page de titre du recueil est un bois gravé représentant quatre hommes qui semblent suivre un texte du doigt, voire même déchiffrer une partition. C’est d’ailleurs une représentation que l’on peut retrouver dans d’autres ouvrages et qui nous renseigne sur les pratiques de l’époque, comme nous l’indique la Notice Rothschild : « C'est ainsi que la figure qui orne le titre a été employée par les héritiers de Barnabé Chaussard, et se retrouve en tête de plusieurs farces conservées au Musée britannique[1] ».

Si nous nous plongeons dans le vaste répertoire de la chanson française au XVIe siècle, nous observons que la majorité des pièces est écrite pour quatre voix, soit dans un style contrapuntique basé sur les imitations (comme par exemple : Il est bel est bon, de Pierre Passereau, 1534), soit dans un style syllabique avec une rythmique qui recherche l’homophonie entre les différentes voix, ou encore dans un style qui alterne ces deux techniques à l’envi (par ex. Tant que vivray en âge florissant de Claudin de Sermisy, 1527).

Composées dans la première moitié du XVIe siècle, les chansons du Carrateyron auraient tout à fait pu être chantées à quatre voix, comme la majorité du répertoire produit à cette époque, en utilisant par exemple la technique du contrepoint improvisé en faux-bourdon.

Comme les mélodies des Chansons sont notées en clé de tenor, la réalisation à quatre voix nous conduit à basculer celles-ci à l’octave supérieure dans la voix de superius. Compte-tenu de leur prosodie, de leur ligne mélodique généralement conjointe avec un ambitus restreint, et compte-tenu de l’utilisation de nombreuses notes répétées correspondant à leur caractère revendicatif et satirique, nous sommes restés dans une écriture verticale et syllabique qui vise l’efficacité, en nous basant sur les règles de contrepoint en usage au XVIe siècle. Pour autant, les cadences conclusives se prêtent volontiers à l’usage du retard de la sensible, sorte de signature de l’époque, qui permet d’enrichir la polyphonie.

Dans la chanson n° 3, le motif du refrain sur les paroles « Niga niga niga », que l’on peut rapprocher du vocable onomatopéique « Fa la la » bien connu à l’époque, permet d’insister sur la critique satirique exprimée dans le texte, et de la faire avancer. Cela nous a conduit à faire fleurir une série d’imitations rythmiques qui circulent depuis le tenor jusqu’au superius, en passant par l’altus.

Inspirés par les ressemblances de cette chanson avec Margot, labourez les vignes de Jacques Arcadelt (1554), nous avons également développé la reprise du couplet qui permet de faire alterner les voix aiguës et les voix graves en bicinium

La chanson n° 5 a posé une problématique intéressante pour la réalisation de la cadence finissant le couplet. Dans un premier temps, il a été nécessaire de rétablir le bémol sur le Si du dernier vers (signalé par * au-dessus de la portée), qui semble avoir été oublié lors du saut de ligne dans la source.  Au niveau de la réalisation du contrepoint, il est en effet impossible de concevoir cet enchaînement avec un Si bécarre, d’autant qu’il est construit sur la répétition du fragment précédent. A la suite, nous pouvons également remarquer dans la source la présence d’un # devant le Si correspondant à la reprise du refrain, à comprendre comme un bécarre de précaution vraisemblablement rajouté à la plume, ce qui valide la présence du Si bémol sur la fin du couplet. Dans un deuxième temps, l’arrivée de la mélodie par ton ascendant sur la note La nous a conduit à utiliser une cadence phrygienne, avec le demi-ton descendant au tenor, formant à son arrivée une octave avec le superius. Le bassus complète l’enchaînement en décrivant un saut de quinte ascendante vers la quinte du tenor.

Inédite dans le recueil, cette arrivée utilise une autre cadence typique de l’époque, produisant un effet suspensif semblable à celui d’une demi-cadence « moderne », et qui amène parfaitement à la reprise du refrain.


[1] Notice Rothschild 1021 de la BnF, "Chansons novelles en lengaige provensal", <https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc352381>.